Intervention faite par Brigitte Jacob, co-secrétaire de la section des Côtes-d’Armor de la FSU, à l’occasion du banquet républicain organisé par la Ligue de l’Enseignement à Plouha le 12 décembre 2010 dans le cadre de la Fête de la laïcité

Pour ne remonter qu’à ces derniers jours, on a pu voir à la TV Rachida Dati et Marine Le Pen s’entretenir aimablement de la laïcité, et un ancien ministre, paraît-il centriste, faire de la laïcité l’un des thèmes majeurs de la création de son nouveau mouvement. On a donc le juste sentiment d’assister à une confusion idéologique certaine, ce qui doit nous amener à rappeler la valeur et le rôle de la laïcité dans la nation, de rappeler ce qui constitue les principaux fondements d’une notion plus actuelle que jamais.

La loi de 1905 a été une étape majeure d’une construction qui est le fruit d’un long combat des hommes pour imposer la liberté de conscience, la tolérance et l’idée de raison contre l’ignorance, la peur de l’autre, l’hégémonie des dogmes, notamment religieux. Je parle d’étape car ce combat est largement plus ancien – la loi de 1882 instituant la scolarité obligatoire relève du même combat – et parce que les objectifs en sont toujours d’actualité et qu’il importe de les faire vivre.

De ce point de vue, la laïcité est étroitement liée au projet républicain. La séparation des églises et de l’État ne fait pas de la religion une affaire strictement privée mais a pour originalité de faire de l’espace public un espace à part caractérisé par la neutralité de l’État.

Cette neutralité ne consiste pas à accepter l’expression de toutes les croyances, de toutes les idéologies, en se souciant simplement de l’égalité de leurs droits ; ce n’est pas une neutralité passive : en fait elle a pour projet de garantir à chacun dans l’espace public une liberté véritable en ceci qu’elle le met à l’abri des pressions et des intérêts particuliers et qu’elle lui donne les moyens de son choix de vie. Elle est même porteuse de valeurs, celles qui fondent la République : solidarité, justice, fraternité, lutte contre le racisme et les discriminations…

De ce point de vue elle est consubstantielle à la notion de service public, lequel est porteur d’intérêt général et distinct d’un simple service au public.

Cette conception de la laïcité prend bien évidemment une signification toute particulière à l’école, ce n’est pas en vain que l’on parle d’« Éducation Nationale » : l’apport capital de ce service public est d’assurer une culture commune qui ne saurait être conçue comme le plus petit dénominateur commun, mais qui doit au contraire permettre l’accès de tous à des savoirs pluriels, à la formation de l’esprit critique et de la personnalité, à la connaissance des cultures – y compris religieuses – dans leur diversités et permettre l’insertion dans la société, d’abord à travers l’accès à l’emploi. De ce point de vue l’exclusion des signes religieux à l’école n’est pas une négation du droit individuel à la liberté de conscience, il est un instrument pour assurer à chacun le droit à une éducation indépendante des dogmes religieux ou des intérêts particuliers, à une éducation qui permette à chacun d’exercer dans une véritable liberté la plénitude de ses droits individuels.

Cette conception de la laïcité n’est pas celle d’un petit village gaulois assiégé même si l’on entend souvent dire que la laïcité est une originalité exclusivement française. C’est au contraire une valeur universelle porteuse d’avenir qui, sans imposer un modèle et en respectant ce qu’a de positif la diversité des cultures et des expériences des différents peuples, peut devenir un moyen d’émancipation au service des peuples victimes de politiques génératrices d’inégalités et de paupérisation, confrontés à l’exacerbation des conflits de caractère ethnique ou religieux. Elle peut et doit être un instrument de paix et du « vivre ensemble », un élément fondamental de réponse aux fractures auxquelles est confrontée notre société.

Y a-t-il aujourd’hui des menaces nouvelles auxquelles la laïcité est confrontée ?

A l’évidence, le regain des intégrismes et les fractures de notre société qui conduisent à des formes de montée en puissance des communautarismes constituent bien une menace à prendre au sérieux. Mais il serait faux de penser qu’une seule religion serait concernée : ces phénomènes traversent toutes les religions et l’on aurait tort de croire que les unes auraient accepté tacitement le pacte laïque républicain en s’intégrant dans notre société pendant que d’autres mèneraient l’offensive contre ce pacte, et c’est l’un des problèmes que pose périodiquement la médiatisation des affaires de voile. Même si les problèmes sont spectaculaires, même si dans un certain nombre de cas l’on peut voir derrière certaines situations un activisme important de mouvements intégristes, l’on ne peut oublier la multiplication des pressions pour obtenir des obtenir des autorisations d’absence pour certaines fêtes religieuses juives ou musulmanes ou bien les tentatives pour réintroduire des services religieux catholiques dans certains locaux scolaires. On ne peut oublier non plus les débats qui ont eu lieu sur le contenu du projet de Constitution européenne et tout particulièrement la volonté de mise en avant des « racines chrétiennes de l’Europe ». Il n’est pas jusqu’à la formation à l’enseignement du fait religieux – initiative pourtant positive – qui ne donne lieu à des coups de canif dans le contrat, en confiant cette formation à des porte-parole des religions concernées. L’on ne saurait oublier non plus le statut scolaire particulier de l’Alsace Moselle et le refus des églises de même le voir modifié, ne serait-ce qu’à minima en remplaçant le caractère obligatoire de l’enseignement religieux par le choix des familles.

Que penser de l’affichage médiatique par les plus hautes autorités de l’Etat de leurs convictions religieuses ? Que penser de la déclaration d’un Président de la République affirmant que le prêtre est supérieur à l’instituteur dans la transmission des valeurs ?

Surtout il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui la laïcité ne peut se limiter à la question des religions. Si la laïcité est bien ce principe que nous avons décrit plus haut, la neutralité du service public doit s’imposer à tous les intérêts privés susceptibles de « mettre sous influence » les élèves ou l’école. L’école doit être à l’abri des marchands autant que des religions. N’oublions pas en effet que de plus en plus d’entreprises se sont lancées à l’assaut du marché des jeunes consommateurs, cherchent à s’introduire à l’école à travers des démarches qui interfèrent avec le contenu même de l’enseignement. Je pense par exemple à des concours comme les « masters de l’économie ». De plus le marché des biens et services scolaires (édition, soutien scolaire) change de nature et de dimension et les entreprises y cherchent à la fois des débouchés et des aides publiques. La formation des enseignants et également menacée lorsque le ministère de l’Éducation Nationale s’en remet, par exemple à l’Institut de l’Entreprise, lié étroitement à un organisme patronal, pour une formation des enseignants de SES sur la mondialisation .

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici de plaider pour une quelconque « sanctuarisation » de l’école qui devrait rester aveugle et sourde à la réalité du monde extérieur ; au contraire la formation des jeunes implique une ouverture sur le monde et notamment celui de l’entreprise. Mais la question est de savoir si cette ouverture se fait avec l’indépendance qui garantit le regard critique, permet la connaissance et l’appropriation des problématiques ou si elle sert de prétexte pour aliéner la vision critique et pour faire pression sur les choix.

Il s’agit donc d’indiquer clairement que le principe de laïcité dans la République doit s’appliquer à tous et partout. Comment, par exemple, faire comprendre à des jeunes que l’on interdirait sans concession tel signe d’appartenance religieuse alors que telle autre manifestation d’appartenance religieuse serait tolérée ou que sur une partie du territoire l’enseignement religieux ou l’affichage de signes religieux dans les salles de classe continueraient à être des obligations ? C’est aussi une question de respect des jeunes.

Quant au contenu des enseignements, il n’est pas négociable, pas plus que l’assiduité des élèves. Un fonctionnaire, parce qu’il a des misions de service public et d’intérêt général, a un statut particulier avec des obligations particulières en matière de laïcité et l’on ne saurait admettre qu’en la matière des règles différentes n’aboutissent à produire des inégalités entre établissements.

En même temps, je veux rappeler que la lutte pour la laïcité ne peut pas se réduire au seul champ des services publics ou de l’école. Je veux dire par là que les hommes politiques investis de la responsabilité de représenter l’État doivent en ce domaine être exemplaires ; je veux dire surtout que les intégrismes et les communautarismes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui se nourrissent des inégalités de notre société, de l’exclusion, de la ghettoïsation et que demander à l’école de lutter pour la laïcité en son sein sans traiter ces phénomènes serait parfaitement vain.

L’éducation est un outil central de la bataille pour la laïcité : ce n’est pas seulement en confortant l’école comme espace de neutralité par rapport aux religions et aux intérêts privés que l’on fera progresser la laïcité, mais en travaillant toujours mieux les contenus enseignés pour construire une culture commune porteuse d’émancipation, en assurant à tous les jeunes, sans exclusive, l’accès aux qualifications indispensables pour s insérer dans notre société. Et c’est en faisant de la laïcité un élément de la formation des personnels que l’on pourra également progresser.

Je voudrais, en guise de conclusion, dire qu’en tant qu’éducateurs, agents de l’État, nous avons la conviction que la laïcité est une composante fondamentale de nos missions, qu’elle est liée à notre attachement aux services publics ; qu’il s’agit d’une valeur d’avenir pour peu qu’on ne l’enferme pas dans des stéréotypes ou des conceptions étriquées. Les personnels attendent d’être confortés et soutenus dans leur attachement à cette valeur et dans leur lutte pour la faire vivre au quotidien. Ne pas décevoir cette attente implique d’abord de prendre toute la dimension des questions de laïcité aujourd’hui et de les traiter dans leur ensemble.

Et dans cet ensemble la « question scolaire » n’est pas la moindre.

Je n’insisterai pas là-dessus devant vous et cela ferait l’objet d’une autre intervention. Disons en deux mots que notre Congrès départemental, puis notre Congrès national qui se sont tenus en janvier de cette année ont réaffirmé nos précédents mandats. Notre refus du dualisme scolaire confessionnel et patronal y a été réaffirmé. En effet les établissements privés ne peuvent prétendre concourir à la réalisation des missions de service public et laïque, ce qui impose bien entendu d’exclure toute forme de complémentarité entre le public et le privé, en particulier en matière d’offre de formation. Les fonds publics doivent être réservés au service public et les lois anti-laïques doivent être abrogées. Autant que notre attachement indéfectible à la loi de 1905, ce sont là des exigences que nous entendons bien faire valoir à nouveau à l’occasion des échéances électorales qui s’annoncent.

Vive la laïcité !