« Les Risques du métiers »

Le 28 janvier 2021, Patricia Pasquion, conseillère à Pôle Emploi, se rend dans son agence de Valence dans la Drôme pour faire son travail au service des demandeurs-euses d’emploi et des entreprises. Elle s’apprête, comme chaque jour, à recevoir ce public de femmes et d’hommes en recherche d’emploi, avec des problématiques très diverses, des situations familiales et financières compliquées, parfois dramatiques. De même que ses collègues, elle espère, à son niveau et modestement, contribuer à améliorer des situations de tendues, angoissantes pour toutes ces personnes, avec des moyens d’actions et des solutions qui sont ce qu’ils sont et des réponses pas toujours adaptées, pas forcément immédiates voire pas de réponses du tout. C’est le lot quotidien mais avec ses collègues elle s’accroche pour rendre ce service, hélas de plus en plus souvent dans des conditions dégradées : il faut prioriser.

Ce jour-là, peu après avoir commencé sa journée, tout va s’arrêter, sa journée et sa vie, brutalement, dramatiquement, horriblement et injustement.

Un demandeur d’emploi va sortir une arme et lui tirer dessus, la blessant mortellement, avant d’aller tuer une autre personne à quelques kilomètres dans une entreprise où il avait travaillé.

On ne sait toujours pas les motivations de cet homme, l’enquête est en cours et il n’a pas livré grand-chose aux enquêteurs pour le moment semble-t-il.

Ce 28 janvier est une journée de CSE dans les établissements régionaux de Pôle Emploi. Toutes les régions sauf une, Bourgogne-Franche-Conté, décident de suspendre les CSE et de les reporter à une date ultérieure. En BFC, plusieurs organisations syndicales dont le SNU décident de quitter la séance mais d’autres, dont la CFDT, proposent de continuer !

Très rapidement, la direction générale de Pôle Emploi, relayée par les directions régionales, s’emploie à démontrer son absence de responsabilité dans ce drame et à mettre en garde les représentants du personnel ainsi que les organisations syndicales qui « profiteraient » de ce drame pour mettre en avant leur idéologie et/ou leurs discours politiques.

Pas question de remettre en cause la politique de l’emploi et de l’indemnisation des demandeurs-euses d’emploi. Cette même direction se permet même de dire qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives alors que l’enquête est en cours tout en disant qu’il s’agit de l’acte d’un déséquilibré et que cet acte n’a rien à voir avec sa situation de demandeur d’emploi, bien soutenue par certaines organisations syndicales, toujours les mêmes.

Certes, il ne résidait plus dans la région depuis longtemps et il semblerait qu’il s’en est pris par hasard à cette collègue qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.

Cependant et même si nous n’en connaissons pas la cause réelle avec certitude il avait connu plusieurs licenciements au cours des 10 dernières années, était en ASS (allocation de solidarité spécifique, un des minimas sociaux) et donc en précarité depuis un certain temps.

Et puis, cette notion de mauvais endroit au mauvais moment est-elle acceptable lorsque l’on exerce son métier au service des autres. Patricia, en signant son contrat de travail avec Pôle Emploi, était-elle censée accepter ce genre de risque qui peut, hélas, être inhérent à certains métiers mais certainement pas à celui de conseillère à Pôle Emploi ou d’enseignant-e ?

Depuis longtemps nous alertons nos interlocuteurs-trices de la direction générale et des directions régionales sur l’effet de leurs décisions en matière d’accompagnement des demandeurs-euses d’emploi, de l’indemnisation mais également de l’organisation du travail et de l’évolution de nos activités vers la dématérialisation à outrance. Les fiches de signalement pour agressions et menaces, le plus souvent verbales, ont fait un bond en avant depuis 2019. Le 1er volet du décret sur la nouvelle assurance chômage date de novembre 2019.

De conseillers-ères à l’emploi spécialisés-es dans l’intermédiation nous sommes passées-es à opérateurs-trices de saisie et prescripteurs-trices de prestations via une logique de chiffres et d’objectifs.

En attendant, une femme est morte !

Elle a été enlevée, de manière abjecte et ultra violente, à l’affection des siens, sous les yeux horrifiés de ses collègues sur son lieu de travail !

Est-elle une victime collatérale d’un système totalement déshumanisé ou juste malchanceuse d’avoir croisé la route d’un déséquilibré ou d’un être lui-même brisé ?

L’enquête, pour la mémoire de Patricia et pour ses proches, devrait pourvoir l’établir mais peut-on y croire ?

Ce qui peut arriver de pire et la tuer une 2e fois ce serait que tout cela se conclut par :

Pas de chance, ce sont les risques du métier !

Yannick Jeusset